« La Giloute » est un coup entré dans l’histoire de Mr Jack lors de la finale du WT500 de Santander. Il porte le nom de son créateur, ou du moins de celui qui a osé le porter aux nues lors d’un match d’anthologie.
Un retour sur les faits s’impose.
Lieu : Whitechapel Tour, tournoi de Santander
Finale : Inspecteur scalpaf vs Jack Gilou (partie 105319)
Ouverture : GuLeSmSt => Smith g8-i10 (L f5-h4)
Réponses à l’ouverture : 1.2 Gull e9-h10 / 1.3 Lestrade e5-m9 (C NE-SE)
Jack (Gilou) laisse l’inspecteur jouer Stealthy en 1.4, alors qu’il est Stealthy ! Suicidaire !? Et bien non … scalpaf choisit de mettre Stealthy en …
La suite de la partie est épique – truffée de nombreux coups mémorables – et voit Gilou l’emporter avec Stealthy, et rafler le tournoi de Santander par la même occasion.
Mais revenons sur les mécanismes de ce bluff qui a donné lieu à quelques discussions sur le forum du site où l’on joue. Il repose sur plusieurs éléments concomittants :
1 – L’inspecteur anticipe parfois la disculpation d’un suspect et ne cherche pas toujours à l’isoler dès lors que son innocence est avérée par le jeu; C’est ce qui pousse l’inspecteur à jouer Stealthy en l6 au coup 1.4, considérant 1) que Stealthy est innocente car pouvant être isolée, et 2) que la case l6 est meilleure que toute autre pour la suite de la partie;
2 – Jack – en l’occurrence Gilou – connaît son adversaire – en l’occurrence votre rédacteur – et l’a déjà vu faire ce coup plusieurs fois; la dimension personnelle et statistique a ici son importance; Ce bluff est difficilement envisageable avec n’importe quel adversaire. Ce n’est pas tant la connaissance de l’adversaire qui importe, mais le fait que les 2 joueurs partagent le même « niveau » d’analyse de la partie, c’est-à-dire qu’ils savent tous les 2 ce que signifie ou cache un coup.
Néanmoins, ce bluff s’appuie sur un aspect de plus en plus présent dans le jeu, avec le niveau grandissant des joueurs : l’anticipation. Il entre dans une famille de bluff que j’appellerais « bluff de contre-anticipation ». C’est un coup exclusivement à l’usage du joueur Jack et qui s’appuie sur le dernier coup du tour impair de l’inspecteur – il ne me semble pas que ce type de bluff soit possible à un autre moment de la partie. On peut donc en esquisser la morphologie suivante :
1 – les 2 joueurs partagent la même analyse du jeu; ce point contient toujours un doute qui rend la chose plus ou moins risquée;
2 – Jack repère un coup d’anticipation profitable à l’inspecteur – en fin de tour impair – mettant en jeu son personnage; Jack juge que ce coup est probable;
3 – Jack laisse l’inspecteur jouer son personnage, feignant un abandon de celui-ci;
4 – l’inspecteur joue son coup d’anticipation comme si de rien était, sûr de l’innocence de ce personnage; le ver est dans le fruit;
5 – la tromperie a eu lieu, reste à la mener à son terme – ce qui n’est pas chose forcément facile -, mais qui provoquera de toute façon un sacré mal de crâne à l’inspecteur, à un moment ou un autre;
Le bluff prend place dans le système de communication « implicite » qui s’installe entre les 2 joueurs lors d’une partie. Avec l’usage du jeu, les interprétations implicites se développent et forment un corpus de communication. Mais cette communication n’est pas parfaite. Elle n’est pas fondée sur un langage et une grammaire précis mais sur l’interprétation des mouvements des personnages dans la partie, et certaines croyances à propos de son partenaire (croyance qu’il a bien vu ceci ou cela, ou le contraire). L’incertitude est au coeur du dispositif. Les possibilités grandissantes offertes par l’extension, puis par New-York ouvrent de nouvelles perspectives de bluff, et notamment ce type de bluff de « contre-anticipation ». Les Chroniques se proposent d’en faire l’écho … dés lors que les joueurs les signaleront …